Au Cimetière
Par Laura Forrest
Je suis ici, parmi les branches mortes et les pierres tombales aussi vieilles que cette ville. J’y suis toujours, pas mon corps, mais mon essence. Les arbres vivent grâce à mon corps, et ainsi je vis aussi, par procuration, à travers ces arbres tordus, chétifs, mais forts - forts à cause de ma volonté de vivre.
Personne aujourd’hui dans ce pays ne se souvient de moi, et ceux qui m'ont connue en Irlande essaient de m’oublier. Je ne sais pas si je devrais me fâcher contre eux, mais maintenant - au ciel - je ne m’en soucie plus. Tout ce que je raconte est sans parti pris, sans émotion : ce sont seulement les faits.
**
J’enfile ma robe de mariée le matin du 14 mars 1877. J’ai 16 ans et je suis incroyablement nerveuse. Mon mari est beau et il a de l’argent : « Col. The hon. Charles Alexander ». Il vient de Tyrone, alors je ne le connais guère. Il m’attend devant l’autel avec le prêtre, en compagnie de nos familles et de nos amis.
Moi aussi, je suis devant l’autel - devant Dieu. Je dis « oui » mais mon cœur n’est pas d’accord - il demeure auprès de mon voisin, le jardinier. Nous quittons l’église, main dans la main, pour les festivités; pour commencer notre vie.
**
Je suis chez le jardinier. Je suis dans ses bras forts. Ses lèvres s’approchent de plus en plus des miennes, et je ne détourne pas la tête.
**
Je suis au Canada, à Halifax. Charles m’a forcée à quitter l’Irlande avec ce bébé dans mon corps qui n’était pas de lui. Il y a cinq ans qu’il est mort, mon bébé - tué au travail par une pièce de bois qui est tombée sur sa tête. Il était jeune, et je suis vieille. Je vis avec l’argent que mon mari m’envoie, mais j’aimerais mieux un homme. Je serais plus heureuse dans les bras de quelqu’un et pauvre, que seule et à l’aise. Je vivrai ma vie jusqu’à la fin, comme ça : seule, pour avoir été avec le jardinier.
mercredi 5 mai 2010
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire